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Claude Duchesneau : souvenirs de Philippe Barras
©Kevyn Bruyere

Claude Duchesneau : souvenirs de Philippe Barras

Publié le dans Se former

Philippe Barras est directeur de rédaction de la revue La Maison-Dieu et enseignant à l’Institut d’Études Religieuses et à l’Institut Catholique de Paris. Il est également directeur du service de la formation continue du diocèse d’Arras. Il nous évoque ici sa relation avec Claude Duchesneau, dont nous faisons mémoire des vingt ans de la disparition.

 

Philippe Barras, pouvez-vous nous dire comment vous avez connu Claude Duchesneau ?

            Lorsque j’ai été nommé comme responsable de la liturgie dans le diocèse, j’ai cherché une formation en cours du soir, compatible avec mon emploi, car je travaillais à l’époque dans l’industrie. Et j’ai trouvé à la Catho de Paris un programme de formation continue conduit par Claude Duchesneau. C’est comme cela que je l’ai rencontré pour la première fois et cela m’a profondément marqué car c’était un parcours d’anthropologie rituelle que j’ai beaucoup apprécié car j’ai trouvé tout de suite qu’il avait énormément de pédagogie. Puis, plus tard, j’ai intégré l’équipe du CNPL (Centre National de Pastorale Liturgique) dont il faisait partie. Trois ans après mon arrivée, j’ai été nommé responsable de la revue Célébrer dont il était la cheville ouvrière et qui a ouvert la voie à une collaboration accrue, notamment à travers les deux volumes de l’Art de célébrer.

Notre relation s’est encore intensifiée lorsqu’il m’a proposé de lui succéder à l’IER lorsqu’il a été rappelé par son évêque pour être le vicaire général. J’ai donc pris la suite de ce cours, avec Pierre Faure, Patrick Prétot et Bénédicte Ducatel et c’est vrai que nous avons développé une affection un peu filiale.

 

Quel était l’objectif de la revue Célébrer à l’époque de votre collaboration ?

La revue Célébrer était née au lendemain de la seconde guerre mondiale, en 1945. Son histoire est liée à l’ancêtre du CNPL, le CPL : centre de pastorale liturgique, fondé par les dominicains, qui a créé à la fois la Maison-Dieu et également ce qui se voulait un relais de communication et d’information – on dirait aujourd’hui une newsletter – qui s’appelait « Notes de pastorale liturgique » et qui est devenu la revue Célébrer, sous-titrée « Notes de pastorale liturgique », puis Célébrer. 

Le but était vraiment au départ d’accompagner la transition du concile puis la transition avec la revue Célébrer a infusé le désir de formation. C’est d’ailleurs à ce titre que Claude Duchesneau en a réellement été le pilier car il était passionné par la pédagogie : il était professeur au séminaire de Dijon, à la Catho de Paris et à celle de Lyon, à l’initiative du Cyffal de l’Est… Il était vraiment très concerné par la question de la formation. Et la revue Célébrer, assez vite, a souhaité former et donner des éléments de réflexion aux responsables et agents pastoraux chargés de la liturgie. C’est ainsi que la revue a évolué en proposant des dossiers thématiques qui donnaient des outils de formation simples et accessibles à toute personne, y compris ceux qui n’avaient pas de formation théologique. 

 

Vous avez évoqué son cours d’anthropologie rituelle, comment décririez-vous son approche de la théologie ?

Il me semble que sa fibre était vraiment celle de la dimension humaine. Cela se retrouve beaucoup dans son corpus de chants ou de poèmes : il y a toute une série de cantiques qui sont écrits sous forme de questions et je pense que cela le définit bien car c’était vraiment quelqu’un qui était pétri d’humanité. Ce qui « l’intéressait » dans le christianisme, si je puis dire, c’est sa dimension humaine, sa dimension corporelle, le fait qu’elle est l’œuvre de Dieu mais l’œuvre de Dieu qui passe par notre humanité. Le dossier qu’il a écrit dans Rite et symbole est encore le dossier que j’utilise comme base de mon cours d’introduction à la liturgie : il s’agit d’une manière accessible de comprendre la ritualité. Dans ses textes et ses chants, cette dimension anthropologique se ressent fortement. 

Par ailleurs, sa passion à lui, c’était d’appréhender la liturgie d’après ses racines juives. Il avait une belle-sœur juive et il a été très marqué par cette expérience et la découverte qu’il en a faite. Et tout son cours était basé sur cette historicité. Je crois qu’il voulait même écrire un ouvrage là-dessus. 

 

On connaît la créativité dont il a pu faire preuve lors de son passage à la paroisse Saint-Séverin-Saint-Nicolas, comment décririez-vous son rapport aux normes liturgiques ?

Il en était très respectueux mais faisait preuve d’une grande liberté. Je trouve remarquable, à ce titre, ce qu’il a pu écrire dans l’Art de célébrer : il a cet art à la fois de prendre en compte la Règle de l’Église mais également de l’interpréter avec l’assemblée de fidèles qui est présente. Il est vraiment dans la mise en œuvre de la Présentation Générale du Missel Romain mais avec un certain degré de liberté. Ce n’était pas du tout un fantaisiste, il était très attaché à la liturgie de l’Église et à l’obéissance mais également à une liberté qui lui permettait d’être créatif. Je pense qu’il a pu pousser cette créativité tout spécialement lors de son passage à Saint-Séverin.

Le reflet de cette créativité se retrouve également dans ce que l’on a nommé les « oraisons nouvelles », typique de la période post-conciliaire. Plutôt que de traduire les oraisons latines, il préférait travailler et écrire des propositions de nouvelles oraisons, compte-tenu de l’expérience qui était permise et même encouragée par Rome à Saint-Séverin. Gelineau, dans les dernières années de sa vie disait exactement la même chose : il ne lisait pas l’oraison qui était écrite dans le Missel. Il prenait une heure d’oraison personnelle le samedi matin et pendant la messe du dimanche il disait le fruit de sa méditation : c’était imprégné du texte du Missel mais il le disait avec les mots de la prière. Claude, lui, aimait l’improvisation préparée : il travaillait ses oraisons et les écrivait avec ses mots.

 

Comment concilier alors aujourd’hui créativité et fidélité ?

Connaître l’histoire de la liturgie, et notamment dans ses sources juives, me semble favoriser l’interprétation liturgique. Dans le cas de Claude, il ne s’agissait pas de valoriser ses mots à lui ou sa propre dévotion ou sa propre pensée de la foi chrétienne mais pour servir la liturgie au plus près. Je ne suis pas sûr qu’il aurait été tout à fait d’accord avec la nouvelle traduction du Missel par exemple : la traduction de certaines oraisons, notamment pour certains jours de la ferie, ne facilité pas la dimension de l’Incarnation.

 

Pouvez-vous nous évoquer le recueil Quel est ton nom ? [1] paru à titre posthume ?

C’est d’abord l’initiative de Maurice Boisson, son frère prêtre avec qui il a vécu ses dernières années au Sanctuaire de Mont-Roland et de Claire-Marie Ledoux, avec qui il avait pu donner une vie liturgique à ce lieu qui lui était cher. J’ai trouvé que c’était une très belle initiative car il me semble que l’humanité dont sont pétris les textes de ses chants est quelque chose d’à la fois touchant et juste. La liturgie c’est aussi cela : c’est l’œuvre de Dieu qui se risque dans nos cœurs, dans nos voix, dans nos manières d’être. 

Les cantiques sous forme de questions, notamment ceux qui ont été repris dans la liturgie des Heures en font peut-être hurler certains mais donnent également une densité à la liturgie. Lorsque l’on chante ce cantique dans son cadre liturgique, un cadre dans lequel on écoute la Parole de Dieu, dans lequel on commence en traçant sur soi le signe de Croix, bref, un cadre rituel porteur du kérygme, ce cantique prend toute sa place, donne l’épaisseur humaine à l’annonce du kérygme. Cette dimension là est pour moi celle de l’Incarnation. Le chant est ainsi constitutif du rite, en apportant cette dimension humaine. Tout ce qui est vraiment humain, y compris nos questions, y compris nos blasphèmes ou nos doutes, demeure quelque chose que Dieu entend avec miséricorde. Je crois que c’est aussi dans son Jura profond, dans un dialogue avec la ruralité que Claude a pu puiser cette part d’humanité et je lui suis très reconnaissant d’avoir été le porte-voix de cette approche.

 

Propos recueillis par Marie Alabau en mai 2023.

 
[1] Quel est ton nom ? Recueil de chants poétiques, Arsis, 2009