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Lucien Deiss évoque le silence dans la liturgie

Lucien Deiss évoque le silence dans la liturgie

Publié le dans Se former

Le silence dans la célébration liturgique

« …Mystères retentissants accomplis dans le silence de Dieu »

(Ignace d’Antioche, Aux Éphésiens, 19)

 

Silence et célébration liturgique

            Le silence ne crée pas la célébration liturgique. Les chrétiens ne se réunissent pas pour savourer ensemble un silence communautaire de bonne qualité. Mais toute célébration doit comporter nécessairement, comme un élément de première importance, des temps de silence. 

On veut dire par là que le silence marque le rythme de la musique et renouvelle son jaillissement intérieur. Une mélodie « infinie », sans respiration, risque finalement d’être ennuyeuse et, paradoxalement, de manquer de souffle. Ceci vaut également pour l’ensemble de la célébration elle-même. Il faut y aménager des oasis de silence, où l’on puisse se recueillir, se reposer, sinon on se lasse. Une liturgie où l’on court d’un rite à l’autre, à la manière d’un sprint, fatigue la communauté sans l’édifier ; elle gave l’esprit sans le rassasier. Célébrer Jésus-Christ doit être une joie, un repos. Et la meilleure célébration est celle qui repose le plus. Elle doit permettre d’arrêter le tourbillonnement du monde en notre cœur, de détendre les liens de la tristesse ou de l’angoisse, de nous arrêter un peu dans la joie et la paix de Dieu.

On veut dire aussi que la musique et le chant doivent créer en nous le silence. La musique atteint son but lorsque l’esprit, l’âme et le cœur sont conduits dans cet au-delà des notes, dans cet univers de beauté silencieuse où l’on rencontre Dieu. C’est Dieu, en effet, qui crée toute beauté, la chaleur d’un accord, le frémissement d’un rythme, la grâce d’une mélodie. Inventée par Dieu, déposée pour y fructifier dans le cœur de l’homme, la beauté reconduit l’homme vers Dieu. L’expression musicale tend vers le Dieu inexprimable. Et de même que la musique jaillit du silence et du recueillement – elle le doit, sinon elle n’est que bavardage – elle conduit au silence et à l’intériorité. Le silence crée la musique, la musique crée le silence. Et l’un et l’autre viennent de Dieu, sont pour Dieu, conduisent à Dieu.

Aussi peut-on dire que la valeur d’un chant se mesure à la qualité du silence qu’il crée en nous. 

 

Durée des temps de silence

Quelle est la durée des tems de silence que l’on peut introduire dans la célébration ? Il semble difficile de donner des règles trop précises. Chaque communauté doit trouver le style et le rythme qui conviennent le mieux à sa célébration.

Disons qu’il existe une durée chronologique, celle qui est donnée par la montre, et une durée psychologique, celle que l’on vit intérieurement dans son âme. Tout le monde sait que les joies passent toujours trop rapidement, et que le temps des lames est toujours trop long. Dans les célébrations, en ajoutant du silence au silence, on augmente la durée, mais non pas nécessairement l’intensité. Pour créer un silence peuplé par la présence de Dieu, il faut d’abord que toute la célébration elle-même – ses rites, ses chants, ses lectures – soit porteuse de Dieu.

On peut estimer qu’une certaine sobriété sera bien accueillie par l’assemblée : pour qu’un silence puisse contenir le dialogue avec Dieu, il n’est pas nécessaire qu’il soit long. A titre d’exemple, après une homélie particulièrement dense, un silence d’une ou de deux minutes sera pleinement suffisant pour intérioriser la Parole, tandis qu’après une homélie désertique, dix minutes de silence n’ajouteraient rien à la célébration.

 

Les temps de silence

Quels sont les rites dans lesquels on pourra introduire le plus opportunément ces temps de silence ?

Rite pénitentiel

            Lors du rite pénitentiel qui suit le chant d’entrée, le président de l’assemblée peut inviter la communauté à se recueillir quelques instants. Il sera utile de prévoir une monition dans le genre de celle-ci, par exemple : « Avant d’approcher du Dieu très saint présent dans sa Parole et dans son Eucharistie, demandons-lui pardon pour toutes nos fautes. » 

Ce n’est qu’après que l’on dirait le Kyrie ou les autres prières prévues.

Ce premier temps de silence est d’une importance pastorale toute particulière. En effet, après la joie du chant d’entrée où la communauté entière rencontre le Seigneur, après cette première expression de l’unité qui rassemble dans l’église tous les enfants de Dieu, chacun, dans le silence, présente à Dieu son cœur dispersé par le monde, ses mains de mendiant, son front de pécheur. Chacun entend le cri du prophète Amos (4,12) : « Prépare-toi, Israël, à rencontrer ton Dieu. » 

 

Oraison

            Un temps de silence est recommandé après l’invitation à la prière ou la monition qui précède l’oraison. L’importance de la monition est la suivante : le prêtre (ou le commentateur) a quelques instants, à peine quelques secondes – le temps d’une phrase ! – pour prendre en main l’attention des fidèles et ouvrir leur cœur au Seigneur. Vite il faut trouver la bonne clé – une monition passe-partout ne fera guère l’affaire – et la bonne porte.

Le silence – quelques secondes suffisent – souligne ce mystère. Au besoin, il pourra aussi ranimer l’attention des distraits en les invitant à prier non seulement des lèvres mais aussi du fond de leur cœur.

Noter cependant que le cas ne joue plus dans les oraisons de la messe s’il y a l’acte pénitentiel avant la collecte, et un silence (et pas une hymne) avant la postcommunion. 

 

Après l’homélie

            Il est toujours possible de prévoir un temps de silence après certaines lectures particulièrement denses (une monition d’introduction semble alors nécessaire). En tout cas, on pourra pour ainsi dire rassembler toute la méditation sur la Parole dans le silence qui suit l’homélie.

L’importance de ce silence est aussi grande que celle du silence de l’action de grâce. A dire vrai, c’est le même mystère. Là, on reçoit le Christ présent en son Eucharistie, ici on reçoit ce même Christ présent dans sa Parole. Aussi bien, la liturgie de la Parole n’est jamais simplement lecture, médiation, chant, homélie, dialogue : elle est, plus profondément encore, célébration du Seigneur présent en sa Parole.

Le modèle le plus parfait de l’écoute de la Parole demeure éternellement la Vierge Marie. Elle a tellement écouté la Parole, elle l’a reçue si profondément en elle, qu’elle en est devenue la mère, qu’elle l’a revêtue du vêtement de la chair et l’a présentée au monde. A la suite de Marie, chaque fidèle doit ainsi incarner la Parole et la présenter à ses frères. Or, à deux reprises, dans ce long poème qu’est le récit de l’enfance, Luc nous dit que Marie « conservait avec soin toutes ces paroles, les méditant en son cœur «  (Lc 2, 19, 51). Le verbe employé par Luc pour signifier « méditer » est très joli et signifie littéralement « jeter ensemble, rapprocher » . Le silence après l’homélie est le silence dans lequel, à l’imitation de Marie, chaque fidèle, dans le réceptacle de sa mémoire, « jette ensemble » les paroles entendues et les approche de son cœur. 

 

La prière universelle

1.       Dans la série des intentions. On évitera d’entasser les intentions en les enchaînant à la hâte les unes aux autres. Le silence allégera la prière tout en lui conférant plus de vérité.

Dans la forme solennelle ( représentée par exemple dans les oraisons solennelles du Vendredi Saint) ce silence se place après l’énoncé de celui ou de ceux pour qui l’on prie. Le rythme sera donc le suivant : prions pour…/Silence/ Que Dieu daigne…/ Réponse de l’assemblée.

Dans la forme simple, ce silence suit la réponse du peuple : Prions pour que Dieu daigne…/ Réponse de l’assemblée / Silence.

Ce silence peut être très court : cinq secondes peuvent suffire pour intérioriser la prière et élever le rite au plus haut niveau du dialogue intérieur avec le Seigneur.

2.       Avant l’oraison conclusive. Il est aussi des intentions personnelles qui ne peuvent être présentées devant la communauté, précisément parce qu’elles sont trop personnelles. On les porte en soi comme un poids qui pèse sur le cœur ou comme une joie que nul ne saurait partager. On peut néanmoins les recommander à l’assemblée, de la manière suivante : 

Après l’énoncé de la dernière intention « officielle » et la réponse du peuple, on ajoutera la monition suivante : «  Présentons aussi au Seigneur les intentions qui nous sont personnelles ». On garde ensuite un temps de silence. Et l’on termine par l’oraison conclusive.

La durée de ces silences est fonction du nombre des intentions, de leur longueur, de l’importance de la réponse de l’assemblée. Il faut que le président de l’assemblée sente lui-même, comme par intuition, quel est le bon rythme, celui qui repose l’assemblée et rend sa prière aisée et joyeuse.

 

L’action de grâce

            Le temps de silence consacré à l’action de grâce individuelle se place après le processionnal de communion et avant l’oraison conclusive. Les rites de la communion se structurent donc normalement ainsi : Action de grâce collective (dans le chant de communion) / Action de grâce individuelle (en silence) / Action de grâce présidentielle (dans l’oraison conclusive).

La durée de ce silence est en fonction du temps que requiert la distribution de la communion, de l’ampleur du processionnal de communion (et éventuellement de l’hymne après la communion). Dans les célébrations paroissiales dominicales, ce silence peut être assez court. Quand un enfant regarde son père, ce n’est pas la durée du regard qui compte, mais sa signification, son intensité. Or, cette action de grâce individuelle est comme un regard sur Dieu. Il ne faut pas beaucoup de temps pour dire intensément au Seigneur : « Merci ! »

« Il est bon pour moi, Seigneur, d’attendre en silence ton salut ». (Lam 3,26).

            Ignace d’Antioche affirme que la virginité de Marie, la naissance du Seigneur et sa mort sont trois mystères retentissants accomplis dans le silence de Dieu. Aujourd’hui encore, dans nos célébrations liturgiques, les mystères du Christ retentissent en notre âme, dans le silence de Dieu.

 

P. Lucien Deiss
Revue Église qui chante n°97 (1969)